par Lola Mohimont et Léa Henrich, doctorantes HALMA UMR 8164, Université de Lille
Questionnant l’individu, mais aussi la construction de l’identité individuelle et sociale, le corps tend à devenir une thématique de recherche à part entière dans les sciences historiques. Objet physique voire esthétique, il est aussi un instrument sensible permettant l’expression de qualités internes ou de valeurs sociales et culturelles. Dans les sociétés anciennes, le corps est plus qu’une enveloppe de chair, devenant un véritable outil dans l’élaboration de l’image de soi et participant activement aux interactions entre les humains. Plus encore, par son habileté à se modifier, se transformer, s’affaiblir et se réparer, il est perçu comme une passerelle entre le monde terrestre et le monde divin. À ce titre, il est l’objet d’un certain nombre de pratiques préventives, visant à le protéger d’une quelconque altération, de pratiques curatives, afin d’en guérir les maux, ou encore pratiques conservatives pour préserver son intégrité dans la mort. Mais comment définir le corps sain et le corps altéré dans l’Antiquité ? Et quels soins sont en conséquence appliqués ?
C’est autour de ces questionnements que nous avons orientés la journée d’étude doctorale « Soigner et prendre soin du corps vivant, altéré et mort dans l’Antiquité » qui se tiendra le 28 mai 2025 de 09h00 à 18h00 à l’Université de Lille (bâtiment F, Salle des Colloques). Cette journée pluridisciplinaire réunit des doctorants, doctorantes, jeunes chercheurs et jeunes chercheuses pour un temps d’échange sur la question du soin sous toutes ses formes (médical, esthétique, hygiénique, etc.) et les conceptions associées au corps sous tous ses états (vivant, altéré et mort) au cours de l’Antiquité, dans différentes aires culturelles.
Cette journée se déroulera sous forme de deux grandes sessions qui visent à répondre aux différentes problématiques soulevées dans les études du corps dans l’Antiquité.
La première session « Le corps vivant et le corps mort : conceptions, représentations et protections des corps sains » se déroulera durant la matinée et porte sur l’interprétation par les cultures antiques du corps comme étant « sain ». La notion du corps en bonne santé diffère d’une culture à une autre et, à ce titre, les soins apportés pour le conserver dans sa splendeur et le protéger varient selon les définitions. Dans le monde antique, le corps bien portant concerne d’une part le corps vivant auquel il faut apporter un soin quotidien, au travers de l’hygiène et de l’entretien corporel, d’autre part le corps mort qui se voit être l’objet d’une préparation minutieuse pour sa conservation et pour assurer ainsi la pérennité de l’individu dans l’après-monde. La journée débute avec deux communications portant sur les préoccupations sanitaires des individus de leur vivant avec l’intervention de Cannelle Gervais (Université Paul Valéry Montpellier III) portant sur « L’hygiène et la santé des marins et des passagers sur les navires de commerce romains (IIe s. av. – Ve s. apr. J.-C.) », étude qui abordera également la gestion des corps morts dans ce contexte contraint de la vie maritime dans le monde romain. La seconde intervention de Léa Henrich (Université de Lille) portant sur « Prévenir le mal en soignant les poils ? Les pilosités égyptiennes comme témoin de la bonne santé » permettra d’aborder également les critères d’identification de la bonne ou de la mauvaise santé dans la culture de l’Égypte antique.
Les deux communications suivantes mettront l’accent sur les soins apportés aux corps des défunts, au travers de l’intervention de Cindy Pichon (Université Paul Valéry Montpellier III) portant sur « Le corps du défunt lavé, parfumé et couronné dans l’Antiquité grecque et romaine » qui questionnera les pratiques de toilette mortuaire, de couronnement du défunt et d’exposition du corps mort dans les mondes grec et romain. Puis, Laurianne Lancien (Université Paul Valéry Montpellier III) proposera une intervention intitulée « Se préparer pour un au-delà qui “n’existe plus” ? : Le cas de la tombe d’Houya (TA 01) à Amarna » où elle questionnera la préparation du corps mort lors du bouleversement religieux provoqué par Akhenaton durant le Nouvel Empire égyptien, clôturant ainsi la première session de cette journée.
L’après-midi sera consacré à une seconde session « Soigner le corps, apaiser l’âme : approches antiques des maux physiques et psychiques » portant plus précisément sur les soins de protection et de guérison des individus faisant face à une altération physique ou psychique. Si le corps altéré se définit par une modification de l’individu perçue comme négative, qu’il s’agisse d’une blessure physique ou d’un trouble émotionnel, les soins de guérison des cultures antiques prennent des formes diverses et peuvent utiliser des moyens dérivés pour parvenir à soigner l’individu. Ainsi, cette session s’attarde autant sur la forme des soins pouvant être prodigués que sur le personnel soignant et sur les types de maux pouvant exister. Les trois premières communications de la session mettent l’accent sur différents procédés médico-magiques avec l’intervention de Jessica Bourdoux (Université de Liège) portant sur « Guérir les maux par les mots : les origines védiques de l’Āyurveda » qui présentera l’usage initialement constitué de la parole sacrée puis complété par l’usage des plantes de la science médicale Āyurveda du monde antique indien. Par la suite, Francesco Serrati (ENS/PSL, Collège de France) abordera, au travers de son intervention « Guérir par la fumée : une étude de cas. Médecine et magie dans les Papyri Copticae Magicae », le rôle du soin par fumigation décrit dans le monde copte, à la frontière entre soin médical et acte rituel. Puis, l’intervention de Noémie Lecroq (EPHE-PSL) portant sur « Protéger et guérir des attaques venimeuses : l’utilisation des “stèles d’Horus sur les crocodiles” en Égypte au Ier millénaire av. n. è. » abordera l’usage de stèles rituelles comme outil de protection, mais également comme technique de soin effectif dans la culture égyptienne ancienne.
Enfin, deux dernières communications clôtureront cette journée en dépassant le cadre de l’altération physique pour questionner l’environnement émotionnel dans le monde médical antique. Ainsi, Matthias Herteleer (Université de Lille) abordera, dans son intervention portant sur « Le soignant, compagnon d’armes dans l’épreuve de la maladie : Homère face aux enjeux contemporains », la place du corps médical dans l’accompagnement des blessés, dépassant le cadre de la seule intervention physique pour jouer un rôle de soutien plus profond dans le monde grec. Enfin, Lola Mohimont (Université de Lille) proposera une intervention sur « Un esprit sain dans un corps sain : soigner les émotions négatives dans les papyrus médicaux égyptiens anciens ? » où elle questionnera la place de l’altération psychique dans la culture de l’Égypte ancienne.
Image : Scène de coiffure par des soldats, tombe d’Ouserhat (TT 56), Cheikh Abd el-Gournah – © L. Henrich

